Un, deux, trois, Soleil !
Le jaune, couleur du soleil, de l’or, des rois, est, par un obscur cheminement, devenu celle des traitres, des tricheurs et des bouffons… avant un heureux retour en force. Comment a-t-il remonté la pente et redoré son blason pour trôner aujourd’hui au rang de couleur prisée par les marques ?
Une courte période de grâce
Le jaune, et notamment le pigment ocre jaune, est l’une des premières couleurs utilisées dans l’art. Dès la Préhistoire, l’homme apprend à la maîtriser et on la retrouve dans de nombreuses peintures pariétales. En témoigne le célèbre cheval jaune de la grotte de Lascaux, à l’âge… avancé (17 000 ans tout de même !).
Dans l’Antiquité classique, le jaune est également valorisé. Beaucoup d’étoffes sont teintes en jaune. C’est la couleur de la fête, des tenues de cérémonies ou de mariages. Tout semblait bien parti pour le jaune… Pourtant très vite, ça se dégrade.
Au Moyen Âge, ça tourne mal
Au Moyen Âge, le jaune perd de sa superbe… Cette période sombre couvre d’un voile obscur notre éclatante couleur : elle devient symbole de mauvaise réputation, couleur des proscrits, traîtres et tricheurs. On le voit dans l’imagerie médiévale, les chevaliers fêlons comme Ganelon (mais si, Ganelon enfin !) sont très souvent habillés de jaune, tout comme Judas, l’archétype du traître.
Différents décrets imposent par ailleurs aux prostituées de porter un foulard, une cape ou des gants de couleur jaune. Pour les mères célibataires, ce sont des coiffes jaunes. Et les personnes endettées, elles, doivent coudre des cercles jaunes sur leurs vêtements afin d’être reconnues…
Pas de quartier donc pour le jaune qui incarne aussi la maladie : un drapeau jaune hissé sur les remparts d’une ville médiévale signale une épidémie de peste…
L’or : un sacré rival
Alors que le jaune était déjà en mauvaise posture, l’or, trésor du nouveau monde, par son éclat tapageur, achève de le ternir. Le précieux métal s’est ainsi accaparé tous les bons aspects de la couleur (la richesse, la chaleur, la joie) pour ne laisser au jaune que les mauvais (le mensonge, la trahison, l’hypocrisie, la jalousie). Le partage n’est donc pas bien équitable, et c’est le jaune qui en pâtit.
L’or partait quand même avec de nombreux atouts : très tôt déjà, dans l’art antique, on l’utilisait comme symbole du sacré. L’aura divine de l’or s’accentue à la fin du Moyen Âge, avec le christianisme qui l’utilise massivement dans certaines églises pour symboliser bonheur, gloire et fidélité.
Certains diront que le responsable de la chute du jaune n’est autre que l’or. D’autres pensent que le jaune avait tellement mauvaise réputation qu’il n’aurait de toute façon pas pu s’en sortir et que l’or est finalement venu au secours d’un jaune condamné.
Quoiqu’il en soit, le jaune a traversé une période de rejet dont il va lui être difficile de se relever. Mais… à jaune vaillant, rien n’est impossible !
Vers la réhabilitation du jaune ?
Le jaune peut remercier les impressionnistes et notamment Van Gogh qui lui fait la part belle dans nombre de ses œuvres. C’est le jaune des tournesols, des chapeaux de paille, des champs de blé mus par le vent.
L’art abstrait permet aussi au jaune de prendre du galon. Ne fait-il pas partie des trois couleurs primaires que ce courant affectionne tant ? Le jaune trouve notamment sa place dans l’œuvre de Kandinsky « Jaune, Rouge, Bleu ».
Plus récemment, dans un autre registre, le célèbre tour de France a mis la main à la pâte pour revaloriser le jaune. En 1919, le journal l’Auto, qui imprime ses pages sur papier jaune, a l’idée de distinguer le premier du classement général avec un Maillot jaune. Et l’expression « maillot jaune » s’est étendue pour qualifier un premier dans un classement donné. Beau succès pour la couleur jaune qui est enfin signe de victoire ! Mais cela ne lui suffira pas pour se défaire de sa symbolique…
Au fil des siècles, le jaune a collectionné les expressions, plus négatives les unes que les autres : « jaune cocu », « un jaune », « rire jaune », le « teint jaune »… Même son verbe « jaunir » n’est pas particulièrement flatteur. Le jaune risque d’être éternellement associé à la maladie, au mensonge et à la tromperie. C’est aussi la couleur du vieillissement, ce qui flétrit, moisit, meurt… Bref, des attributs peu reluisants. Pourtant le jaune est plein de promesses.
Le jaune “yell”
C’est la très ancienne enseigne « La Poste » qui l’a deviné avant tout le monde et la raison en est surprenante : ses 2CV aux couleurs vert foncé étaient souvent victimes d’accidents, La Poste a alors décidé de changer de couleur : une couche de peinture jaune et les postiers pouvaient rouler en toute sécurité et en toute visibilité.
Car oui, le jaune ça crie et ça se voit. En anglais yellow a d’ailleurs la même racine étymologique que le verbe yell (crier). C’est d’ailleurs ce qui a dicté le choix des gilets jaunes, ceux qu’on enfile pour être vu de loin sur la route et puis ceux qui défilent aussi. Il faut se faire remarquer, et le jaune fait ça comme personne !
Couleur des panneaux pour alerter, il s’affiche sur le bord des routes. Un texte noir sur fond jaune, c’est l’impact garanti ! McDonalds, Ikea, Best Buy l’ont compris : pour être vu, c’est le jaune qu’il faut choisir.
Restons donc optimistes !
Malgré son histoire compliquée, il ne faut pas oublier que le jaune reste la couleur du soleil. Il est gai et joyeux, comme les smileys (enfin la plupart d’entre eux).
Le jaune, c’est aussi la couleur de l’optimisme et les marques le savent bien: Schweppes, c’est drôle, pétillant et festif, Subway, c’est de la joie dans un sandwich, avec Frichti, on retrouve la convivialité. Toutes ces marques ciblent une clientèle plutôt jeune, urbaine et dynamique à qui le jaune ne fait plus peur !
Alors le jaune réussira-t-il un jour à retrouver sa pleine gloire ? C’est en tout cas ce qu’on lui souhaite, et ce malgré l’arrivée d’un nouveau rival : l'orange…